Cet article a été précédemment publié en 2010 sur un forum consacré au bandonéon, je le mets ici à jour.

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J’ai commencé à jouer le bandonéon en 1996, avec un vieil Alfred Arnold (AA) de 1937, puis quelques années plus tard avec un second AA de 1938.

Le premier était complètement mort et en fin de course…

Le second était en meilleur état et ne faisait que se bonifier sur le plan sonore.
En revanche, il avait comme le précédent un âge avancé et une grande usure mécanique : un clavier en montagne russe, un soufflet manquant d’étanchéité et bon à changer, des touches qui bloquent, des ressorts qui cassent, etc.

Comme je joue beaucoup et dans des conditions parfois difficiles (beaucoup de transport, spectacles en plein air ou en chapiteau, spectacles non sonorisés dans de grands lieux, dans des lieux humides, etc.), il me fallait un instrument plus résistant et qui ne menace pas de casser à chaque concert.

J’ai donc décidé d’acheter un instrument neuf, je me suis renseigné et ai essayé un Hartenauer et un Bandonion Fabrik.

D’emblée, le Bandonion Fabrik m’a semblé avoir un beau son de main gauche, très chaud qui me rappelait (en plus puissant), le son de mes AAs. En revanche, le son de main droite était petit et peu épais. J’avais l’impression qu’il ne se bonifierait pas avec le temps. De plus, les écarts entre les touches étaient différents de ceux du AA m’obligeant à complètement retravailler mes doigtés.

Lorsque j’ai pris le Hartenauer sur mes genoux la première fois, j’ai tout de suite eu une excellente sensation au niveau du toucher. L’espace entre les boutons est très proche de celui des AAs. Le son de main gauche était moins chaud que celui du Bandonion Fabrik, mais celui de la main droite était plus chaud et plus puissant. Les notes les plus graves de la main gauche ainsi que certaines de la main droite ne démarraient pas au quart de tour et bloquaient si je les jouais staccato (désagrément également présent en main droite, mais absent en main gauche sur le Bandonion Fabrik). L’instrument nécessitait incontestablement un bon rodage!

Sans vouloir relancer le débat sur la différence entre unisonore et bisonore, mais comme il en est souvent question dans le monde du bandonéon, oui, il existe forcément une différence de son. Pour les AAs, les lames sont de taille différente et donc, la différence de son est inévitable. Sur les nouveaux, les fabricants disent qu’ils utilisent les mêmes matériaux pour les deux systèmes. La répartition des lames sur les plaques fait que le son ne peut absolument pas être le même (répartition des masses, vibration par sympathie, etc.).

De ce fait, lorsque j’ai comparé, les nouveaux bandonéons unisonores et les bisonores, j’ai toujours trouvé une différence, quelle que soit la marque.

Fin de la digression.

Après les essais, j’ai orienté mon choix vers un Hartenauer, clavier Manoury modèle Mayor. C’était en 2006. Je l’ai reçu 5 mois après la commande, en octobre. Pendant 2 ans, j’ai travaillé l’instrument en faisant des gammes pour utiliser intensément chaque note, et cela au moins 1 heure par jour.

Comme me l’avait conseillé Uwe Hartenauer, j’ai fait ce travail en jouant le plus fort possible (en me protégeant les oreilles avec des atténuateurs et parfois un casque antibruit!).

Dès les premiers mois, j’ai entendu l’instrument se bonifier et gagner en chaleur sur les deux mains.

Aujourd’hui, onze ans après la fabrication de cet instrument, les notes les plus graves démarrent immédiatement, ce qui n’était pas le cas au départ (même après un an ou deux de rodage), et la main droite a gagné en épaisseur et rondeur.

Certaines notes dans le médium de la main droite continuent à bloquer lorsque je veux les jouer fortissimo et staccato à la fois, je crois qu’il s’agit là d’une question de réglages, mais aussi qu’il me faudra attendre quelques années avant que l’instrument soit complètement rodé.

Sur le plan mécanique, mon instrument présentait un défaut à la livraison : certaines touches sont tombées dès les premiers jours, il m’a fallu les recoller. Cela a duré plusieurs mois, j’en perdais de moins en moins souvent, mais il m’arrivait de temps à autre d’être obligé de remettre en place un bouton lors des séances de travail. C’était plutôt désagréable, Uwe Hartenauer m’a dit que cela venait d’un lot de ressorts au diamètre un tout petit peu plus petit que ceux qu’il utilise habituellement. Il m’a sympathiquement fait parvenir des pièces de rechange pour procéder moi-même au remplacement des ressorts ou touches lorsque cela était nécessaire. Aujourd’hui, ce souci est complètement réglé, le clavier s’avère plutôt robuste si ce n’est une mécanique en bois cassée dans la partie aiguë du clavier main droite. On se demande pourquoi les fabricants de bandonéons n’utilisent pas de l’aluminium pour ces parties qui sont à la fois fragiles et souvent sollicitées. Cette fois, c’est Thierrry Bernard, mon accordeur, qui s’est occupé de fabriquer une pièce de remplacement (les photos de la réparation se trouvent ici).

Aujourd’hui, après avoir joué lors de plus de 650 spectacles et concerts, l’instrument évolue plus lentement, mais il continue de se bonifier au fil des tournées. Je peux jouer toutes les notes du pianissimo au fortissimo et le son est devenu chaud sur presque toute la tessiture.

De mon point de vue, si au fil du temps, le son s’est approché de celui des AAs, l’instrument a conservé une personnalité propre, et reste bien moins chaud qu’un vieil AA bisonore. Avec un unisonore, la différence sera probablement moins importante. Je ne suis pas certain que cet instrument est idéal pour jouer du tango, mais comme je n’en fais pas, cela ne me pose pas de problème.